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Se (ré)approprier les questions de santé

Quinze ans d’expériences diverses sur la Montagne limousine

(article paru dans IPNS n°71 en juin 2020)

Suite à l’annonce de sa création, le « groupe santé » du Syndicat de la Montagne limousine (cf IPNS n°70) devait se réunir pour la première fois le 5 juin dernier. Trop tard pour en rendre compte dans ce numéro mais l’occasion de revenir sur diverses initiatives qui ont fleuri dans la Montagne ces quinze dernières années en matière de santé. Ou, comment des habitants ont tenté de s’approprier des savoirs et des savoir-faire ainsi que de trouver un peu de prise sur des pratiques de santé qui leur sont, au mieux proposées, au pire imposées ?

Il y a d’abord des habitant-es qui organisent, pour eux et elles-mêmes, des « formations » en faisant venir des intervenant-es. Le collectif Millefleurs, dont l’activité sera ensuite reprise par l’association Pas à pas – Partage des savoirs populaires et parentaux, va ainsi, à partir de 2005, organiser des sorties sur les plantes sauvages médicinales, des ateliers sur l’homéopathie, la place des tisanes et des teintures-mères dans la pharmacie familiale, des conférences sur l’alimentation, des stages sur l’usage des huiles essentielles, etc.

Pas à pas organisera aussi un événement de grande ampleur en 2007 à Peyrat-le-Château : « Naître et grandir en Limousin », deux jours autour de la grossesse, la naissance et l’éducation. On y croisera entre autres des sage-femmes pratiquant l’accouchement à domicile, des conseillères en allaitement, un ostéopathe du nouveau-né. Plus tard, vers 2011, c’est dans le même esprit qu’une vingtaine de femmes, de la Montagne et d’ailleurs, solliciteront une naturopathe suisse spécialisée dans la santé des femmes pour les former à sa pratique sur une dizaine de week-ends. Dans une veine proche, mais avec plus de publicité, l’association d’éducation populaire Pivoine s’autosaisira, ou sera sollicitée par des habitants, autour de 2014, pour organiser des journées de formation, toujours dans l’idée de permettre à chacun-e de s’approprier son corps. Seront entre autres abordés la contraception et l’avortement, la peau et ses atteintes, le système musculo-squelettique, le décryptage des signes d’urgence chez les très jeunes enfants. C’est lors d’un de ces cycles sur le système reproducteur que germera l’idée de monter le Planning familial du plateau de Millevaches (cf encadré). Aujourd’hui, Pivoine propose toujours des formations aux premiers secours. À ce sujet, le nouveau conseil municipal de Gentioux propose qu’au moins un-e habitant-e de chaque village de sa commune maîtrise ces gestes de premiers secours pour pallier au, parfois trop long, temps d’attente des services médicaux d’urgence.

Par ailleurs, des praticiennes diverses, naturopathe ou même danseuse, ont proposé et proposent toujours des ateliers autour de l’anatomie et du soin : découvrir son corps par le mouvement, la petite pharmacie familiale, le soin aux jeunes enfants, le stress et la dépression. D’autres ont essayé pendant un an en 2017 d’animer un dispensaire ambulant de soins alternatifs gratuits (cf encadré). La même année, à La Renouée à Gentioux, des petits déjeuners dominicaux mensuels, ont permis à des habitant-es d’accéder au riche fonds documentaire de Pas à pas et d’échanger entre eux sur la santé et l’éducation.

Bien avant cela, en 2006, dans une démarche plus affirmée politiquement, un collectif installé à Faux-la-Montagne, accueillait dix jours de rencontres autour de « l’autonomie matérielle », et y déclinait un volet sur la santé. Parmi les thèmes abordés : « la médecine occidentale : son rapport à la maladie, au contrôle social sur les corps », « l’autonomie à l’égard de l’industrie pharmaceutique par la constitution de pharmacies alternatives », « la ré-appropriation de leur corps par les femmes (auto-examen gynécologique, démédicalisation de la maternité et de l’accouchement) », « la pluralité des approches du corps : une présentation de diverses pratiques ».

L’intervention qu’y fit un ergothérapeute suisse sur « les enjeux politiques des souffrances psychiques » et un atelier intitulé « questions autour des troubles mentaux et des relations entre les personnes dites troublées et leur entou- rage » font partie de la préhistoire du groupe d’entraide et de soutien psychologique (cf encadré). Ce dernier prendra corps dans la préparation, puis en aval, d’un événement organisé par Pivoine en 2011 : « 3 jours autour des souf- frances psychiques… » Moment lors duquel une centaine d’habitants, de militants antipsy, de professionnels, de gens en difficulté ou proches de gens en difficulté se croisent dans des ateliers, des conférences, des jeux, des projections, des témoignages.

Plus récemment, c’est autour de la fin de vie et de la mort que se sont constituées des initiatives : l’association L’Arbre se concentre sur l’accompagnement de personnes en fin de vie (cf IPNS n°65) et l’association Par la racine sur la mort dans tous ses aspects (juridiques, culturels, pratiques…). Par la racine avait animé une semaine d’ateliers sur ce thème en amont du carnaval sauvage du Constance social club de l’automne 2019.

Quand les soignants entrent en scène

Dans le même temps, la Montagne limousine vit un double mouvement. D’un côté, la casse du service public de santé (cf IPNS n°70) couplée aux départs à la retraite de médecins généralistes que les jeunes médecins hésitent ou peinent à remplacer étant donné leurs conditions de travail (modèle du médecin de campagne solitaire et dévoué corps et âme à son travail). De l’autre, l’installation de jeunes praticien-nes en thérapies dites alternatives (ostéopathie, acupuncture, médecine traditionnelle chinoise, énergétique, etc.) alors que les traditionnels rebouteux tendent à disparaître. La recomposition du tissu de soins n’est pas gagnée : coopération ou concurrence entre soignant-es patenté-es et praticien-nes alternatifs ? Quelle place pour les usagers- habitants ?

À partir de 2010, des soignants de toutes obédiences se croisent dans plusieurs espaces, parfois aussi fréquentés par des profanes. Petit à petit, des relations de confiance se tissent. Ainsi, un groupe informel, mêlant une naturopathe, une énergéticienne, une ostéopathe, un kiné et une généraliste tout juste diplômée, se retrouve régulièrement pour échanger sur leurs pratiques, faire des ponts, et mieux s’adresser des patients. Ailleurs, au sein du groupe d’entraide psychologique, c’est une coopération fructueuse qui se met en place au fil des ans entre les membres du groupe, des professionnels de la psychiatrie publique, des médecins généralistes et des thérapeutes divers.

Ces dynamiques incitent Pivoine, sollicitée pour proposer quelque chose autour de l’épineuse question de la vaccination, à lancer un groupe de travail chargé de déblayer les questions de santé communautaire, d’immunité collective… Répondent à l’appel trois généralistes de différentes générations, un animateur du réseau des maisons de santé, une naturopathe, une infirmière, un ostéopathe et trois habitant-es. Si le groupe n’ira pas au bout de l’objectif, il aura successivement travaillé sur le système de santé zapatiste, les centres de santé autogérés grecs, la participation en santé de proximité et sur l’immunité. De tous ces espaces naissent une reconnaissance et une confiance réciproque qui font qu’aujourd’hui on voit des adressages de patients entre thérapeutes « alternatifs » et professionnels « officiels ». C’est aussi ainsi que, lors de la création du réseau de santé primaire Millesoins, des médecins ont proposé, à des habitants croisés dans ces réunions, de participer à la constitution d’une instance représentant les usagers du réseau. Offre jusqu’alors déclinée. Débordé-es par le travail que leur demande Millesoins (notamment la recherche incessante de nouveaux et nouvelles collègues pour compenser les départs) en plus de leur travail quotidien, ces professionnel-les, tout convaincu-es de la nécessité de la présence d’usagers à leurs côtés (tant en position de contre-pouvoir que de partenaires), ne trouvent pas aujourd’hui de temps à y consacrer.

Et vinrent les gilets jaunes et le coronavirus

Le mouvement des gilets jaunes (notamment les mobilisations autour de l’hôpital d’Ussel) et l’arrivée de nouveaux habitants, trentenaires en cours de reconversion professionnelle vers les médecines dites « douces », amèneront encore de nouveaux croisements entre habitants qui s’ignoraient. Au-delà de leurs combats syndicaux ou de leurs pratiques professionnelles, ces habitants s’intéressent plus globalement à la santé et aux formes du soin sur la Montagne. Le terreau est mûr pour qu’un groupe « santé » se lance au sein du Syndicat de la Montagne limousine. Si le confinement stoppa net les volontés de première réunion, l’épidémie de coronavirus et son traitement politico-médiatique dopèrent de façon inespérée la pertinence de ses objectifs et les dynamiques qu’il souhaitait impulser. En un mois, les questions de comment construire à l’échelle du territoire des pratiques de santé adaptées à sa réalité (plutôt que d’y décliner aveuglément des directives nationales), et de comment y associer les habitants, sont passées du statut de sujets internes au réseau Millesoins, à celui de thèmes récurrents dans les chaumières. C’est ainsi que, jusqu’alors plutôt associé à un collectif de soignants qui cherchent à améliorer leurs conditions de travail et à lutter contre la désertification médicale, Millesoins est devenu visible, et même un interlocuteur pour des habitants. Ainsi, un collectif d’habitants, en mal d’informations précises concernant le coronavirus, n’hésita pas à interpeller Millesoins. Ils furent invités à une réunion du réseau qui déboucha sur la co-écriture d’une synthèse de huit pages (qu’on peut retrouver ici : https://frama.link/ B70Tjw27). Plus tard, c’est aussi à Millesoins que des parents demandèrent un avis éclairé sur un protocole à suivre pour des activités à destination d’enfants dans une commune où la mairie ne ré-ouvrait pas l’école.

Pour les professionnels du réseau, ce fut à la fois inespéré de voir leur souhait de participation des habitants survenir sans aucune initiative de leur part (même si les habitants en question ne représentaient pas le gros de leurs patientèle, plutôt constituée de personnes atteintes de maladies chroniques). Ce fut aussi un gros travail de concertation entre eux pour fournir des réponses validées par toutes et tous dans le contexte d’incertitude scientifique générale et de pression sociale maximale. Ou comment passer de tâcherons invisibles qui tentent de sauver l’offre de soin sur la Montagne, à alliés potentiels d’habitants en recherche d’instances légitimes pour desserrer localement et en bonne intelligence l’étau du confinement d’État. Mais il est encore trop tôt pour mesurer l’ampleur de l’impact de l’épidémie de coronavirus sur les initiatives et dynamiques évoquées ici. En attendant, il est possible de participer à « l’enquête » que le groupe « santé » du syndicat mène sur les pratiques en cours ou passées en matière de soins et de santé sur la Montagne (les expériences relatées dans cet article restent très largement centrées sur la région de Vassivière et n’évoquent que des années récentes). Récits d’expérience, archives de tous ordres, témoignages, analyses… tout est bon. Manifestez-vous auprès du journal.