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“La Tontinette“, un outil pour l’achat collectif de terres agricoles et la solidarité dans l’installation en Ariège

Suite à la dernière fête de la Montagne limousine, un groupe de paysans et paysannes se retrouve régulièrement autour de diverses thématiques professionnelles. Pour éclairer la question du foncier (comment l’acquérir et faciliter l’installation) ils ont accueilli le 23 janvier 2019, trois personnes venues d’Ariège pour leur présenter un Groupement foncier agricole mutuel (GFAM) : “La Tontinette“. Une expérience inspirante que ses promoteurs décrivent ici pour nos lecteurs.

Nous sommes un collectif de personnes composé d’agriculteurs et agricultrices, de futurs.es installé.e.s et de personnes sensibilisées à la question de l’accès au foncier agricole. Les prix exorbitants des terres empêchent de nombreuses personnes de mener à bien leurs projets d’installation agricole au vu des emprunts nécessaires. En plus, si le projet ne rentre pas dans les clous technico-administrativo-économiques exigés aujourd’hui, l’installation devient impossible.

Faciliter l’accès au foncier

Nous avons profité de l’expérience des GFAM du Béarn et du Pays Basque et nous sommes inspirés de leur idée de mutualisation pour “La Tontinette“. En 2017, notre groupe met sur pied le GFAM “La Tontinette“. Les statuts de cette structure assurent que les terres qu’elle acquiert sont exclusivement à usage agricole, qu’elles resteront la propriété du GFAM et ne seront pas revendues à d’autres fins. Ses terres sont louées par bail à ferme (9 ans reconductibles) ce qui garantit une installation pérenne pour les futur.e.s agricultrices et agriculteurs.

À l’instar de Terres de Liens, “La Tontinette“ est un outil pour faciliter l’accès au foncier agricole et pour le préserver. Notre organisation locale favorise une gestion directe par les associé.e.s du GFAM et les locatrices et locataires des terres. Les réunions sont ouvertes à tou.te.s et les décisions sont prises ensemble sur la base d’une personne une voix et non en fonction du nombre de parts acquises. De plus, nous nous spécifions dans notre refus de soumettre les futur.e.s installé.e.s à une évaluation quelle qu’elle soit : ni étude préalable de dossier, ni contrôle ultérieur de pratique, plutôt une relation de confiance et l’adhésion à la charte qui nous réunit. Nous privilégions les échanges, les discussions et les partages d’expériences pour relier dans une dynamique collective les usagère.er.s des terres et les associé.e.s.

Solidarité et entraide

“La Tontinette“ ne se positionne pas comme un simple propriétaire mais comme une ressource de solidarité et d’entraide, à l’image d’un récent chantier collectif pour la construction d’une petite bergerie. Cet outil fonctionne et de nouveaux projets d’installation peuvent se concrétiser si de nouvelles personnes s’associent au GFAM en prenant des parts (de 1 à 40 parts par personne, 50 € la part) et/ou en participant à la dynamique collective autour des installations.

Aujourd’hui, une soixantaine d’associé.e.s ont permis l’installation d’une maraîchère sur la commune du Fossat et de deux éleveuses sur la commune de Madière (voir leurs témoignages en encadré). Nous aimerions inspirer et appuyer d’autres projets afin que se multiplient des structures de mutualisation, pour la reprise de foncier agricole ou pour d’autres activités, ici et ailleurs. Nous avons envie de continuer cette histoire, nous devons la continuer pour sortir plus de terre de la spéculation, pour permettre à de nouveaux projets d’éclore.

Contact : tontinette@riseup.net

Qu’est-ce qu’une tontine ? En Afrique, en Asie et dans d’autres communautés (Roms, ethnies indigènes d’Amérique du Sud…), la “tontine“ est une coutume qui consiste à mettre de l’argent dans une caisse commune dont le montant est remis à tour de rôle à chaque membre pour concrétiser un projet ou parer à des problèmes financiers.

Le papillon étoilé installe sa ferme autonome

Durant l’été 2016, après plus de 5 ans à chercher un terrain, je rencontre des personnes souhaitant aider des paysans à s’installer, c’est ensemble que nous allons créer la Tontinette. Fin mai 2017 nous acquérons une parcelle de 2,5 ha sur la commune du Fossat. Je peux enfin entrevoir mon avenir agricole en cultivant d’abord sur 500 m2 et j’installe un premier carré de fraisiers. Une campagne de financement participatif me permet d’investir dans du matériel qui me facilitera la tâche, de construire une structure pour stocker et me restaurer sur place, de mettre en place les premiers tunnels nantais, de commencer à tester des recettes et à continuer l’observation. Je pratique du maraîchage diversifié sur planches permanentes, sans travail du sol ni arrosage. J’expérimente différentes techniques afin de trouver l’itinéraire le plus adapté à la nature de sol. J’adhère à l’association Maraîchage sur Sol Vivant (réseau de paysans chercheurs). Pour 2019 j’ai prévu le montage d’une serre et l’agrandissement du hangar. Je suis dans l’attente de l’acceptation par l’architecte des bâtiments de France. 1500 m² de maraîchage seront mis en culture, afin de commercialiser sur Le Fossat et je continue la production de plants de légumes d’été en suivant le cycle lunaire. L’objectif est d’arriver à 5 000 m2 cultivés pour me permettre de préparer mes recettes maison et pouvoir proposer des repas. J’aimerais mettre en place un verger et des petits fruits. J’ai quelques poules, je vais commencer à les reproduire sur place dès cette année et je pense loger un âne une fois la clôture posée. Rejoindre La Tontinette c’est pérenniser cette grande et belle aventure de solidarité en Ariège !

Bénédicte Moretti – 06 69 34 05 38, lepapillonetoile@gmail.com 

La Moutinerie, un projet de ferme collective installé par La Tontinette 

Grâce à La Tontinette et sa dynamique d’entraide, nous avons pu nous installer il y a un an déjà à Madière. Bien au-delà du classique rapport propriétaire-locataire, les membres du GFAM ont été (et sont encore) d’un grand soutien politique et pratique avec des chantiers collectifs. La Tontinette est un espace où nous pouvons partager nos doutes, nos difficultés et où notre projet n’est pas jugé. À La Moutinerie, nous sommes en train de monter un petit troupeau de brebis Thône et Marthod, race rustique de Savoie, pour la laine et la viande, engraissé à l’herbe, en bio et en vente directe, et qui transhume l’été dans les montagnes ariégeoises. Nous produisons aussi du blé en vue de faire du pain, car sur 38 hectares, il y a de quoi faire. Mais notre installation n’a de sens que si elle s’inscrit dans une perspective collective, c’est pourquoi nous cherchons des gens pour mener d’autres productions et activités sur le lieu. Tout est possible, des envies sont déjà là, il ne nous manque plus que d’autres personnes pour les impulser. Beaucoup de choses sont possibles en plus de l’atelier brebis : maraîchage, arboriculture, céréales, apiculture, etc. Alors parlez-en autour de vous.

Laura et Mélanie 07 70 05 06 54, melanie.voisin@gmail.com 

(articles initialement parus dans IPNS n°66)

« Producteur, c’est moche comme mot ! »

La question agricole était un des fils rouges de la fête de la Montagne limousine qui s’est déroulée à Lacelle fin septembre 2018. Une question posée par une cinquantaine de (plutôt) jeunes agriculteurs qui ont entamé ce jour-là une réflexion qui va se poursuivre tout au long de l’année.

À quoi ressemble l’agriculture sur la Montagne limousine ? Loin d’en être le fidèle reflet, l’assemblée réunie autour de ce thème lors de la fête de la Montagne a néanmoins donné quelques réponses à cette question. Peut-être parce que le public était plutôt jeune avec une bonne majorité de trentenaires, plutôt mixte avec une représentation presque paritaire, et regroupait à la fois des paysans ou éleveurs déjà installés et d’autres en phase ou en projet de l’être, le visage qu’ils offraient de l’agriculture locale apparaissait bien peu conventionnel. Étaient interrogés le travail individuel, l’insertion sur le marché et les circuits classiques de commercialisation comme la frontière entre activité économique et nourricière, agriculture productive et vivrière. Comme si le modèle classique était à réinventer, comme si, en définitive, il ne correspondait pas vraiment au territoire sur lequel il se vivait. “Il y a une particularité du plateau de Millevaches“ expliquait cet éleveur de moutons corrézien pour lequel le modèle standardisé n’est pas en adéquation avec un territoire où les terres cultivables sont rares et les parcours nombreux.

Au-delà ou en-deçà de l’économie

Ils sont plusieurs à l’afficher clairement : “J’ai du mal à concevoir l’agriculture comme une activité économique“ explique Félix, récemment installé. “Producteur, c’est moche comme mot“ renchérit franchement une autre. Camille, qui produit et transforme des petits fruits depuis 5 ans à Auriat, enfonce le clou : “Ça ne m’intéresse pas de vendre, pas plus que le rapport avec la mécanisation, même en bio ! “ Travaillant avec un cheval et des ânes et quelques brebis laitières, elle affiche ce qui, au fond, la motive vraiment : “Travailler sur le rapport au vivant animal et végétal et voir comment tout le monde pourrait avoir un lien au vivant“ dans le cadre d’une agriculture plus vivrière et nourricière que marchande et monétaire.

Une autre ne sait comment se définir ou se nommer : “Agriculteurs-agricultrices ? Paysans-paysannes ? Jardiniers-jardinières ?“ Une manière de ramener l’activité productive sur ses fondamentaux : ne s’agit-il pas de nourrir les personnes, de travailler avec le vivant dans une symbiose entre la terre support, le pays environnant, les bêtes et les hommes, dans une relation aux autres qui ne soit pas que celle du producteur au consommateur. Milo, qui fabrique et vend des tourtous sur les marchés de Haute-Corrèze, résume ainsi les choses : “Comment la paysannerie façonne son environnement et quels liens de la graine à la bouche ?“ Loin des questions plus classiques (elles viendront) le débat était d’emblée posé en termes de sens et de finalités. Sens et finalités qui, évidemment, agissent sur le concret des gestes de chacun : quels rapports aux normes (contrôles, contrôles, contrôles…) à la logique économique (grossir, grossir, grossir…) et au temps (70 heures par semaine, 70 heures par semaine, 70 heures par semaine…) ?

“Mon objectif est surtout de ne pas m’agrandir“ explique Sybille qui depuis 11 ans élève sur 100 hectares des ovins et des bovins et qui a installé sur son exploitation un atelier de découpe. “Pas un des agriculteurs que je rencontrais ne travaillait moins de 70 heures par semaine, ils ne faisaient rien d’autre ! Comment partager le travail ?“ s’interroge Hélène qui, avec son compagnon, veut se lancer dans un élevage de vaches laitières. Beaucoup de questions… pour d’incertaines réponses.

Les derniers des Mohicans ?

“La réalité, assène Denis, éleveur à Peyrelevade et membre de la Confédération paysanne, c’est qu’il y a des gens qui travaillent tous les jours pour que nos modèles alternatifs ne puissent plus fonctionner ! Au niveau politique, on ne souhaite pas notre présence et du jour au lendemain on peut nous rayer de la carte : il suffit de remettre en cause les aides MAE1 par exemple ! On doit faire face à une lame de fond qui nous arrive de toutes parts“, ce qu’il nomme “la céréalisation de l’agriculture“. C’est le modèle productiviste et industriel qui n’a que faire des espaces de moyenne montagne comme le Plateau qui, dans ce scénario, se suffiraient à n’être que des espaces de production forestière ou d’énergie (l’eau et le vent) après s’être débarrassé des opiniâtres qui pensent que l’agriculture a toujours un avenir ici.

Un élu de Lacelle le déplore en regardant la part de la surface forestière : 55% ! Un agriculteur à la retraite pose le dilemme : « Je me suis installé en 1973 vers Meymac et, parce qu’il fallait grossir, j’ai fini avec 250 brebis. L’exploitation a été reprise par un de mes enfants, mais hors ce cas de figure, aujourd’hui il est impossible de s’installer comme je l’ai fait à l’époque ! S’installer d’emblée avec 250 bêtes, qui en est capable ? Du coup se pose vraiment la question du renouvellement des anciens avec un choix de plus en plus réduit : c’est l’agrandissement des exploitations… ou la forêt ! » Pourtant, des jeunes qui veulent s’installer ça existe, reconnaît Tony, éleveur et producteur de petits fruits à Veix depuis trois ans, mais, comme il dit, « on y laisse quand-même des plumes… » Le débat oscille entre micro-démarches plutôt engageantes et optimistes et arrière-plan général plutôt sombre et destructeur. Sur la corde raide le paysan du Plateau ressemble à un funambule qui n’est pas prêt à se laisser aspirer par le vide… Mais pour combien de temps ? “En 2015, pour la première fête de la Montagne limousine, j’avais interviewé les 14 paysans de Tarnac, témoigne Guillaume.

Les deux constats qui sortaient de ces rencontres étaient assez noirs : les agriculteurs avaient très peu de liens entre eux et il y avait une grande souffrance devant la transformation du métier. En gros, ils avaient de moins en moins de marges de manœuvre et leur travail avait de moins en moins de sens.“ C’est dire que le modèle est bien à réinventer. Briser les barrières entre deux visions du métier qui peuvent vite s’ostraciser mutuellement (un modèle ancré dans les circuits classiques et un autre, plus autonome et indépendant, voire hors circuit) apparaît nécessaire. Johanna qui élève 150 brebis depuis 10 ans à Gentioux ne veut pas trancher : “Je me sens entre la ferme vivrière et la ferme professionnelle, et je pense que les solutions sont certainement collectives.“ Sur son exploitation (un autre mot “moche“) elle est submergée par le temps administratif (les normes, les réseaux, la paperasse) et le temps commercial. Elle sent bien qu’il faut aller vers plus de mutualisation dans le travail et ose pousser le bouchon un peu plus loin : “Comment pourrions-nous déconnecter revenu et production ? “

Vendre tout de même… mais comment ?

Les consommateurs ramènent leur fraise. Ils sont quelques-uns qui se sentent concernés par ce qui inquiètent les paysans, veulent améliorer leur façon d’acheter et se demandent comment soutenir l’activité agricole. “Le problème, rétorque Jean-Claude, ancien agriculteur installé en 1980 vers Égletons aujourd’hui à la retraite, c’est que le Plateau n’est pas assez dense pour absorber la production locale.“ Sybille confirme : “Il nous faut rechercher plus loin les clients“ et Tony renchérit : “Au-delà de quelques niches, il y a un décalage entre l’offre et la demande locales. Attention à la concurrence qui peut mettre en péril nos structures ! Nous, concrètement on va vendre plus loin, tout seuls.“ La solution ? Les deux sont d’accord pour dire qu’il faut trouver des synergies pour vendre en commun en restant indépendants sur leurs exploitations ou encore qu’il faut rechercher de nouvelles formes d’association. Comme sur le travail, l’aspiration à jouer plus collectif sur la vente apparaît comme une nécessité. Mais à 70 heures par semaine – si on a bien compris – qui peut aujourd’hui prendre le temps de cette construction nécessaire ?

(article initialement paru dans IPNS n°65)