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La phobie administrative peut faire mal

(article paru dans IPNS en mars 2022)

Le groupe d’entraide administrative et juridique existe depuis 2018. Nous venions souvent en aide à des amis qui avaient du mal à faire des démarches. À force nous avons compris que ce n’était ni anodin ni éphémère et nous avons de fait constitué un groupe, pour nous partager les informations et être plus efficaces.

Ce groupe a fait partie des dynamiques qui ont convergé en 2019 à la création du syndicat de la montagne limousine, en tant qu’une des composantes de ce qu’il est intéressant, utile, voire nécessaire d’avoir sur le territoire. Aux côtés d’actions sur l’eau, sur la forêt, sur l’éducation, sur les souffrances psy, etc., avoir des ressources d’écrivain.es publiques et des ressources juridiques paraissait nécessaire.

Nous avons proposé des permanences à Gentioux, Tarnac, Royère-de-Vassivière, Eymoutiers et Peyrat-le-Château. Après trois années de bénévolat, étant moi-même pressé par le Conseil départemental qui cherchait à faire baisser le nombre d’allocataires du RSA, j’ai répondu avec succès à un appel à projet du ministère de la santé lancé entre autres sur le thème de « l’accès au droit ». Cela me permet en ce moment d’être payé pour travailler dans le collectif. Quand une personne devient salariée au sein d’un collectif de purs bénévoles, cela change un peu l’équilibre. J’y suis tous les jours, tandis que d’autres s’y consacrent quelques heures par mois. Mais nous restons un collectif, nous faisons le point régulièrement sur les demandes qui nous sont soumises et les réponses qu’on peut, ou pas, apporter.

Parmi toutes les questions qui nous parviennent, les situations sont très variées, mais certains « interlocuteurs à qui il faut faire face » sont fréquents : la Caf, Enedis et la police et la gendarmerie. La Caf, un rapport vient encore de sortir sur la question en février, distribue beaucoup moins d’aides que ce à quoi les gens ont droit. D’une part, des gens ne demandent pas le RSA (un tiers des bénéficiaires potentiels) et d’autre part, pour celles qui reçoivent des allocations, les dispositifs de la Caf rendent fréquents les mésententes, les « trop-perçus », les demandes de pièces, les aides perdues faute de déclaration à temps, etc.

La suppression des guichets et l’obligation de fait de passer au numérique et au sans contact mettent énormément de gens de côté. Pour faire valoir ses droits, il faut du courage. Pour avoir des ressources il faut de plus en plus de ressources. Mieux vaut posséder un smartphone ou un ordinateur pas trop vieux. Avoir les compétences pour naviguer sur les interfaces. Supporter des tchats avec des robots infantilisants qui surgissent dans le coin de l’écran. Garder ses nerfs. Ta démarche peut devenir très compliquée si ni toi ni personne dans ton entourage ne sait compresser un PDF. C’est une politique d’exclusion consciente, une « maltraitance institutionnelle ». Le ministère « de la santé et des solidarités » subventionne un poste comme le mien pour lutter contre une pauvreté mise en place et entretenue par les gouvernements successifs.

Pour continuer dans les pressions actuellement les plus fréquentes qui sont générées par le système technique lui-même, Enedis pose de gros problèmes en imposant de façon intimidante voire harcelante ses compteurs connectés par ondes. Plusieurs personnes nous contactent pour faire valoir leur droit à refuser ces dispositifs chez eux, et elles ont raison.

La police et la gendarmerie, bien sûr, intimident aussi beaucoup de monde, ce qui nous amène pas mal de « public ». Elles ont pris encore plus de place depuis 2020, les interdictions de sortir et les amendes pour non-respect des règles.

Notre collectif est sans doute (on espère !) perçu comme distinct des institutions, ce qui fait qu’on reçoit généralement des gens qui se sentent à l’aise pour parler, plus à l’aise pour certaines que devant une assistante sociale rémunérée par le Département ou dans des « Maison France services », qui sont gérées et suivies de près par le ministère de l’intérieur.

Le ministère de la justice a aussi théoriquement ses points d’accès au droit, mais même s’il y a des gens de bonne volonté dedans, elles sont loin d’avoir les moyens qui feraient que des gens se diraient « J’ai un problème juridique mais ce n’est pas grave, je sais que je peux compter sur la Maison de la justice et du droit qui est accessible près de chez moi. » Globalement, beaucoup de gens sont terrorisés par le droit et perçoivent dès le ton, la forme et la symbolique quand le droit s’adresse à eux que ça va être très compliqué pour eux. Un email intitulé « Votre Caf vous demande », une « Notification de trop perçu » de Pôle Emploi, ou un courrier d’Enedis ou de la gendarmerie, souvent, cela provoque de l’effroi. La phobie administrative, ce n’est pas une blague, c’est une souffrance qui peut faire vraiment mal.

Pour continuer le panorama des questions qui nous arrivent il faut aussi parler de la domination des hommes sur les femmes. Cette domination ou emprise donne lieu à une partie non négligeable d’affaires juridiques que ce soient des problèmes de garde d’enfants, de violences, parfois aussi de diffamation, etc. Nous travaillons entre autres avec les militantes du planning familial de Peyrelevade. Des femmes se retrouvent avec des avocates rémunérées à l’aide juridictionnelle qui pour rentrer dans leurs frais doivent traiter beaucoup de dossiers et ne peuvent pas toujours expliquer toutes les procédures en détails à leurs clientes. Ces femmes sont « entendues » par des juges aux affaires familiales ou des enfants qui expédient des affaires humainement douloureuses en quelques minutes. Fait rare, même les juges se sont rebellés contre leurs cadences infernales avec une grève en décembre. Malheureusement, dans certains cas, il faut aussi dire à une femme des choses du genre « en fait même si nous entendons ta souffrance, en justice tu as très peu de chances de gagner, essaye de chercher à te reconstruire ou à lutter autrement », parce que la justice n’avance que très lentement ou pas du tout sur les questions de genre et que les procédures peuvent être ruineuses en temps et en énergie mentale.

Autre remarque : on a des organismes comme la Sécurité sociale ou la Caf qui disent parfois aux gens « vous n’avez pas le droit aux aides car vous habitez en Allemagne (ou en Italie, etc.) » Et en fait, si ! Les gens habitent bien en Limousin ! Le paradoxe c’est qu’on vit ces mois-ci l’installation de la surveillance électronique généralisée qui fait que la police peut savoir en quelques clics et en quelques heures où vous étiez (enfin, où votre téléphone portable était, où votre email s’est connecté, etc.) chaque minute sur au moins les 365 derniers jours. Et qu’elle s’en sert évidemment contre vous à peu près dès qu’elle veut. Et qu’elle communique avec la Caf et la Sécu. Mais dans l’autre sens, évidemment, ça ne marche pas. Peut-être qu’un jour on fera un courrier à la Caf disant « au lieu de m’accuser de résider en Allemagne, vous n’avez qu’à demander à la gendarmerie, elle sait très bien que j’habite à Peyrat-le-Château et que je vais juste à Eymoutiers une fois par semaine ! » C’est à la fois un peu drôle et un peu terrifiant.

Pour terminer et donner d’autres aperçus ce que cette expérience d’entraide administrative et juridique veut dire, voici un inventaire à la Prévert de quelques autres situations que nous avons rencontrées ces derniers mois :

– une personne a sa voisine qui a construit illégalement une terrasse qui lui bouche totalement la vue et voudrait que ce soit détruit ;

– une mineure avec troubles du comportement alimentaire s’est rendue à l’hôpital psychiatrique de son plein gré il y a deux mois, elle veut maintenant en sortir, ses parents sont d’accord mais une médecin s’y oppose et menace de les signaler ;

– une personne reçoit 130 euros par mois d’aide au logement et voit quand elle « fait la simulation » sur le site de la Caf qu’elle aurait droit à deux fois plus ;

– un couple a acheté de la forêt, il et elle découvrent que le groupement forestier voisin a fait une coupe rase et leur a volé leurs arbres en dépassant la bordure de parcelle. Ils appellent le gestionnaire qui dit « on avait planté là il y a trente ans, vous n’avez rien dit depuis alors maintenant c’est chez nous ».

– un joueur de foot se fait frapper pendant le match. Il se défend. Il est convoqué un mois plus tard par la gendarmerie. Un joueur de l’équipe adverse l’accuse de violences.

– une personne dont l’enfant ne va pas à l’école est convoquée par l’inspection académique et serait rassurée par la présence d’une tierce personne.

– un couple de personnes âgées qui ont la même ligne fixe depuis les années 1960 se rend compte qu’Orange lui facture un « compte pro » sans raison depuis vingt ans.

Si vous vous sentez l’envie d’aider les autres sur ces sujets ou sur d’autres, surtout n’hésitez pas, rejoignez-nous !

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