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La forêt en débat

L’objectif de cette enquête, qui sera aboutie dans quelques mois, est de formuler de nouvelles lois capables de répondre aux défis du réchauffement climatique, tout en imaginant un avenir pour la filière bois française. La réunion publique du 8 février 2020 à Saint-Angel avait pour but de présenter les avancées de cette enquête parlementaire aux habitants et professionnels du Plateau afin d’en débattre avec eux : « S’écouter et réfléchir ensemble sur ce qui est possible, désirable, responsable, pour l’avenir de nos forêts » était le slogan figurant sur le tract d’invitation à cette assemblée.

Sortir du clivage écolo/forestier

La réunion a commencé par une présentation de Nicolas Rohart, forestier indépendant depuis plusieurs années, diplômé de l’école forestière de Meymac et membre de l’équipe qui aura permis l’accueil de l’enquête parlementaire sur le Plateau. Nicolas a voulu insister sur la nécessité de sortir du clivage écolo/forestier qui dure maintenant depuis plus de 40 ans, depuis bien trop longtemps selon lui. « Oser se parler, oser réfléchir ensemble sur l’avenir de la filière bois », disait-il en conclusion de son préambule. Un discours d’apaisement donc, et une invitation ferme à se retrousser les manches et à se remuer les méninges, à arrêter de dépenser de l’énergie pour lutter les uns contre les autres pour bien lutter ensemble contre le réchauffement climatique ; mais aussi, de fait, sortir des logiques productivistes qui en sont largement responsables. Son intervention fut suivie de celle de Mathilde Panot qui a brièvement présenté les différentes propositions de loi issues de leur enquête (forêts mélangées, interdiction des coupes rases ?). Nous avons ensuite assisté à près de deux heures de débats qui ont su rester courtois malgré les différences de points de vue ou de sensibilités parfois présentes dans l’assemblée.

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Des bonnes pratiques pas très visibles…

Commençons par les éléments de concorde : tout le monde était d’accord pour reconnaître la gravité de la crise climatique. C’est déjà ça. En revanche, les premiers éléments de discorde sont apparus avec l’intervention d’industriels de la filière bois, car selon eux, ils fournissent déjà de nombreux efforts : ils s’intéressent et appliquent diverses bonnes pratiques, produisent des plantations mélangées, travaillent la biodiversité, et s’en réjouissent autant que les écologistes. Ce qui leur a été répondu était, sans surprise, que toutes ces bonnes pratiques n’étaient pas si visibles que ça sur le plateau de Millevaches, de nombreux habitants faisant remarquer l’omniprésence des coupes rases et de la monoculture. Et c’est à cet endroit que s’est cristallisé le principal enjeu du débat : les industriels ont réalisé qu’ils ne pouvaient pas continuer comme si de rien n’était mais qu’ils avaient déjà entamé un changement des pratiques, cependant, pour la plupart des gens présents dans la salle, c’était loin d’être suffisant. « Ça y est, on y est dans le mur. C’est pas demain, c’est aujourd’hui ! Ok, les forestiers industriels nous disent qu’ils s’y mettent, mais il faut accélérer, vraiment ! », pouvait-on entendre parmi les habitants.

Lois ou incitations ?

Un autre point de débat portait sur la réelle efficacité des lois et des interdictions. Tout d’abord, et cela fera l’unanimité chez les travailleurs de la forêt, industriels comme alternatifs : « La forêt se joue au cas par cas : chaque forêt et chaque arbre nécessite une compréhension unique, et donc, il est impossible de penser la forêt en termes de loi. Les pratiques forestières ne peuvent que rester intuitives et sensibles, au cas par cas. » Les industriels ont ensuite souligné que les bonnes pratiques étaient déjà recommandées dans des chartes et divers textes mais qu’elles n’étaient pas appliquées, insistant sur le fait qu’il fallait sans doute s’interroger sur les raisons de la non mise en pratique de tous ces bons conseils, et que de nouvelles lois ne viendraient pas éclaircir le problème. La député Mathilde Panot a alors directement rétorqué qu’en effet, à chaque fois que les institutions produisaient des incitations au travers de textes, de circulaires, de communications, cela ne marchait pas, et qu’il fallait bien des lois pour interdire, purement et simplement, les mauvaises pratiques.

De l’interdit à l’entre-dits

Nicolas Rohart est intervenu en rappelant l’étymologie du mot interdire, qui signifie : ce que l’on se dit « entre-nous » de ce que l’on ne peut pas faire… Pourtant, le mot interdit est bel et bien chargé d’une connotation négative dans nos sociétés hautement libérales et libertaires, ce pour quoi Nicolas a proposé le néologisme entre-dits. Puis il a conclu en définissant son imaginaire : une espèce de somme d’entre-dits qui ferait que les gens sur le Plateau arrêteraient les mauvaises pratiques, sans parler de police, sans parler de lois civiques, mais bien de ce que l’on décide ensemble dans le pays, pour le pays.

Enfin, il a été dit, et cela pourrait ressembler à une forme de conclusion : « Nous ne changerons pas la crise écologique sans changer la crise sociale », autrement dit, si c’est bien la course à l’argent qui mène aux mauvaises pratiques, alors c’est bien à cette course à l’argent, présente chez les riches comme chez les pauvres, qu’il faut s’attaquer. Comment ? Seul le député Ugo Bernalicis s’est aventuré sur ce terrain en proposant une solution institutionnelle : « Comme pour chaque grande transition industrielle que la France a traversée, il a fallu mettre de l’argent sur la table, et quand je sais qu’une nouvelle gestion forestière impliquerait de nombreux emplois alors qu’il y a des millions de chômeurs dans ce pays, je ne vois pas pourquoi on ne le ferait pas. »

Un mouvement d’habitants et de forestiers

Une transition écologique depuis le bas vers le haut ? Un bond en avant national à la Roosevelt ou à la Mao ? Une prise de conscience générale permettant de produire des entre-dits capables de dépasser la course à l’argent et les situations d’angoisse individualisées face aux fins de mois ? La réflexion ne fait que commencer. Un mouvement d’habitants et de forestiers s’est donc constitué sur le Plateau autour de cette visite parlementaire. Il ne reste plus qu’à envisager la suite de ce mouvement, aiguiser les réflexions, imaginer des surgissements, des actions, des publications, afin que les élus locaux veuillent bien participer à leur tour à ce débat important qu’est la fin du monde et la fin du mois, plutôt que de rester bien au chaud dans leurs bureaux de fonctionnaires. Car en effet (à part quelques rares élus de petits villages), si les élus locaux, maires, députés et autres, ont réellement brillé durant ce week-end d’enquête parlementaire auprès de la population locale, c’est bien par leur remarquable absence… 

(Article initialement paru dans IPNS n°70)